"Le monde a-t-il jamais connu semblable
"Le monde a-t-il jamais connu semblable époque ?"
"Jamais! Et C'est ce qui en fait la gloire et la terreur. Si les hommes savaient ce qui les guette, jusqu'au plus humble d'entre eux... ils
défailleraient, ils se couvriraient la tête et mordraient leur manteau pour s'empêcher de crier. C'est leur bénédiction et leur malédiction de ne pas savoir. Mais moi je sais. J'ai toujours su... "
Voici l'histoire de Merlin l'immortel, roi, guerrier, druide, barde et prophète... dont la vie se confond avec l'histoire de l’Ile des Forts. Voici le récit de son enlèvement par le Petit Peuple des Collines, de ses longues années de solitude dans la forêt et de ses combats contre les barbares sanguinaires dont les invasions vont précipiter la chute de l'Empire romain d'Occident.
Voici la vie de Merlin telle que nul autre que lui ne pouvait la raconter.
Le caer du seigneur Elphin était un monde totalement différent du palais d'Avallach : ce dernier évoquait les froids sommets du raffinement intellectuel et de la grâce surnaturelle, le premier la réalité terre à terre de la pierre, de la sueur et de l'acier. "La cervelle et le sang, déclaraun jour avec justesse Cuall.
- Seigneur ?
- La cervelle et le sang, mon garçon, répéta-t-il, c'est ce que tu as, et c'est tout ce dont a besoin un guerrier.
- Serai-je un guerrier ?
- Si j'y puis quelque chose, tu le seras suffisamment, dit-il en appuyant ses robustes avant-bras sur le pommeau de sa longue épée. C'est que tu possèdes le secret de Lleu en la matière : vif comme l'eau du torrent et le pied léger comme un chat. Déjà tu mets mon adresse à l'épreuve. Il ne te manque qu'un peu de muscles sur les os, mon garçon, mais à te voir, cela viendra en son temps."
Son appréciation me fit grand plaisir, et je compris qu'il avait raison. J'étais effectivement bien plus rapide que les autres ; j'étais capable d'en remontrer à des garçons deux fois plus vieux que moi et de tenir tête à deux de mon âge. La facilité avec laquelle mon corps exécutait ce que j'exigeais de lui pouvait paraître surnaturelle à certains, elle était parfaitement normale à mes yeux. Que chacun ne jouisse pas de la même agilité de corps et d'esprit était pour moi une chose neuve. Et, bien que j'aie honte de l'avouer, je retirais de mes prouesses en insupportable orgueil.
L'humilité, si elle vient jamais, vient toujours trop tard.
J'appris donc très tôt deux choses ; que je vivrais vieux et que je serais un roi guerrier. La troisième, le Manteau d'Autorité dont parlait Blaise, je la découvrirais peut-être. Je ne voyais aucune raison de me démener pour l'obtenir, si bien que je l'écartai de mes pensées.
Mais je désirais de toutes mes forces devenir un guerrier. Si j'avais eu le moindre soupçon des affres dans lesquelles cette aspiration plongeait ma mère, j'aurais pu réfréner un peu mon enthousiasme, du moins en sa présence. Mais j'étais aveugle et inconscient, et ne parlais pratiquement de rien d'autre.
Personne ne travaillait plus dur que moi, ni avec plus de plaisir. Premier éveillé de tous les garçons, et dehors dans la cour avant le lever du soleil pour m'entraîner au maniement de l'épée et du bouclier, ou à monter à cheval, ou à lancer le javelot, ou à lutter... j'embrassais tout avec l'ardeur du zélote. Et l'été passa dans un éblouissant tourbillon de passion juvénile ; je priais qu'il dure à jamais.